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Qu’est-ce qui définit le «Modelo Madrid»?

Le « Modelo Madrid », de par sa conception originale, diffère des autres modèles urbains cyclistes, basés sur la mise en œuvre de pistes cyclables séparées. Ces autres modèles sous-tendent l’idée du vélo comme véhicule résiduel, de deuxième catégorie par rapport aux autres, et qui doit être retirée de la circulation régulière afin de « ne pas entraver la circulation de véhicules ». De par leur origine et leur développement postérieur, ces modèles obsolètes font en sorte que les vélos soient conformes au modèle classique du 20ème siècle conçu autour de la voiture.

Le modèle de Madrid ne dépend pas d’actions politiques ou d’infrastructures : son élément de cohésion central est fondé sur le comportement des cyclistes et des automobilistes. Une attitude de normalité et de respect mutuel qui s’est construit spontanément, mais qui comporte des implications conceptuelles et politiques liés aux infrastructures :

  • Conception du vélo en tant que véhicule au même titre que les autres est la caractéristique directrice qui différencie le modèle en cours de construction à Madrid du reste de modèles. Ces autres modèles s’installent autour de la mise en place systématique de pistes cyclables séparées, et sont fondés sur l’idée que le vélo est un véhicule résiduel, de deuxième catégorie qui doit être retiré de la circulation régulière afin de ne pas la « gêner ». Ils ne constituent pas tant des modèles en soi, que des tentatives de faire entrer artificiellement un élément de plus dans le modèle classique du 20ème siècle, conçu autour de la voiture
  • Il s’ensuit que le cycliste madrilène parvient à se donner les moyens d’agir en tant qu’acteur principal de la circulation en ville. Il prend le droit de circuler sur la chaussée, ayant toute la ville à sa disposition et tout en suivant les mêmes règles que le reste des véhicules. Toute la ville est cyclable sans qu’il soit nécessaire de prévoir des itinéraires spéciaux.
  • C’est naturel. Nous faisons partie du trafic et n’avons pas besoin de grandes et coûteuses infrastructures spécifiques
  • Effet de mimétisme. L’augmentation exponentielle du nombre de cyclistes sur la chaussée que l’on observe répond, dans une large mesure, à cet effet : plus les cyclistes seront visibles sur tous types de voies sur la chaussée, plus l’idée du « je peux, moi aussi » sera prépondérante
  • Prendre confiance. Contrairement aux modèles classiques, basés sur la mise à l’écart des cyclistes sur des pistes cyclables, qui envoient le faux message que « partager l’espace et la route avec d’autres véhicules est dangereux », dans le « Modelo Madrid » le vélo est rendu visible au milieu de la voie de circulation, ce qui en fait un moyen sûr de se déplacer en ville. Ceci sera d’autant plus vrai que le cycliste agira naturellement tout en respectant les règles qui s’appliquent à tous les véhicules
  • Moins de vélos sur le trottoir. Ceci évitera les conflits avec les piétons qui sont légions dans les endroits où les routes séparées sont nombreuses. Ainsi, les cyclistes qui considèrent que leur place n’est pas la chaussée, continueront de circuler sur le trottoir
  • Respect en hausse de la part des autres véhicules. Ils se sont habitués de façon spectaculaire et en très peu de temps à la présence de vélos sur la chaussée. Ils ont diminué leur vitesse, appris à dépasser en toute sécurité et à respecter les distances de sécurité.

La participation politique au coeur du modelo

Face aux critiques de ce « Modelo Madrid » comme étant anarchique et nécessitant une plus grande implication de l’administration dans la configuration de la mobilité, on peut dire qu’en aucun cas le soutien institutionnel à ce modèle n’implique l’inaction ; en effet, il requiert un effort déterminé pour les fondations que la Mairie de Madrid a établies en sa faveur.

L’ordonnance même de Madrid n’a pas réussi à échapper complètement à la tradition de mise à l’écart et en conserve des caractéristiques qu’il est souhaitable de modifier. Ainsi, l’article 39 bis précité prévoit que « sur les pistes à plusieurs voies, (les vélos) devront toujours circuler sur la voie de droite », sans envisager de circonstances dans lesquelles les autres voies pourraient être utilisées, sauf la voie de gauche « si (les vélos) doivent tourner à gauche ». Cette rigidité de la norme est contraire au principe qui considère le vélo comme un véhicule parmi d’autres, tout comme elle ignore la complexité de la circulation dans une ville comme Madrid qui nécessite une adaptation continue et sans heurts des véhicules sur la route.

Mais en plus de ce qui a déjà été fait (Ordonnance sur la mobilité, BiciMad, voies limitées à 30 km/h), il est important d’insister sur le fait que les investissements dans les infrastructures que l’administration publique peut réaliser, il n’est pas forcément nécessaire de passer par la mise à l’écart du vélo au moyen de pistes cyclables. Il existe de multiples actions en faveur de l’utilisation des vélos que le conseil municipal peut soutenir telles que : des zones vélo aux feux de circulation, des stationnements de vélos en dehors des trottoirs, l’extension de BiciMad aux quartiers situés en dehors de la rocade de la M-30, le renforcement du programme européen STARS, des campagnes d’accompagnements à destination des débutants dans les lieux de travail suivant le modèle « Bicifindes », des cours de recyclage dans le domaine de la règlementation pour la Police Municipale – les agents de la mobilité et les conducteurs d’autobus, renforcement des exigences vis-à-vis du respect du code de la route, notamment des limites de vitesse et ce par tout type de véhicule.

Jusqu’où peut aller le « Modelo Madrid » ?

L’avantage de l’incorporation tardive du vélo dans la ville de Madrid est qu’elle nous permet d’apprendre des erreurs de nos prédécesseurs et d’adapter leurs succès à la durabilité d’un grand centre urbain du XXIe siècle. Ces modèles, essentiellement originaires d’Europe centrale et septentrionale, avaient un sens à l’époque de l’essor de l’automobile, quand ils étaient, alors, synonyme de progrès.

Aujourd’hui, la société a pris conscience de l’insoutenabilité de cette conception de la mobilité et par conséquent de son obsolescence. Des villes comme Amsterdam sont en ce sens esclaves de leur passé et ne peuvent renoncer au modèle qui les définit, c’est pourquoi elles seront les dernières à rejoindre la tendance que Madrid est en train de mettre en place et qui sera majoritaire en Europe d’ici quelques années.

Ce serait faire un pas en arrière que de gâcher tout ce qui a été réalisé jusqu’à présent sans permettre à ce modèle discret et spontané, qui ne nécessite pas de gros investissements ni d’importants travaux, de se développer naturellement. Nous sommes la circulation et les autres véhicules nous reconnaissent comme tels parce que nous avons gagné ce droit. Tous les cyclistes madrilènes peuvent être fiers d’un modèle que nous avons créé ensemble.

Personne ne viendra d’Europe ou d’ailleurs à Madrid pour voir la reproduction du modèle traditionnel de mise à l’écart du vélo. En revanche, l’on pourrait venir nous voir, nous les cyclistes madrilènes, pour regarder comment nous circulons normalement dans cette ville qui a établi la meilleure circulation au monde à l’égard de ses cyclistes, et nous demander comment nous avons fait. C’est ça d’être un modèle.